Chaque moment, une révolution

Par Dewi Bengî

 

L’autodéfense signifie l’existence. Sans elle, nous ne pouvons pas survivre, nous ne pouvons pas être. Pour comprendre l’autodéfense nous devons savoir : Qu’entendons-nous par « auto » ? Qu’entendons-nous par « défense » ?

Le moi possède une base universelle, en tant que partie du tout, de l’univers entier. Si le moi, dans sa compréhension, dans ses sentiments, n’englobe que son propre monde, alors les actions sont déconnectées, le moi ne se préoccupe que de sa propre survie. La société ne peut s’organiser ainsi, car elle a besoin que nous soyons connectées pour que nous puissions nous développer. Elle a besoin de créer un esprit et un cœur communs qui soient divers et remplis, comme le monde qui l’entoure, qui ne cessent de croître et de s’enrichir, de se comprendre. Plus le moi est petit, plus il est éloigné du monde, de la vie, plus il est éloigné d’une défense qui a l’intention de construire une société éthique, significative et aimante. Ce moi doit donc exister avec respect et sens, connecté au monde dans lequel il grandit. C’est aussi un nous qui est un nous universel, quantique.

Nous ne sommes pas seules, car personne ne peut être considérée comme une unité isolée. Je, le moi, nous sommes faîtes des mêmes structures et influences sociales, religieuses, culturelles, familiales et historiques qui ont construit d’autres moi, mais dans des combinaisons différentes. Ces combinaisons rendent chacune de nous unique, mais elles sont aussi ce qui nous lie. Se fortifier les unes les autres à partir de nos différents contextes, c’est donner une base solide à cette identité commune. Parce qu’elle a besoin de beaucoup de force et de diversité pour défendre le monde, les différentes sociétés et réalités. Qui est ce moi ? Une personne ? L’univers ? Je ? Nous ?… Qu’est-ce que le nous ? Comment apprenons-nous à devenir moi ? Comment rapprocher le moi du nous ? Il est important de demander, de chercher et d’explorer l’ensemble du tableau, en trouvant la profondeur et les connexions qui composent un moi créatif, aimant et significatif.

La défense est un acte de construction de structures et de ponts entre l’humain, la nature et l’existence. Pour que toutes les parties se complètent dans l’ensemble. Un moi connecté défend un monde avec un sens plus large, et en donnant sens à tout cet ensemble, car « défendre » c’est créer, en tenant compte de cette totalité. Une « défense » individualiste et centrée sur l’égoïsme détruira le tissu qui maintient ensemble les bases de la vie et de la liberté. Une telle « autodéfense » est une fausse défense, un moi qui détruit son lien avec lui-même et la vie. Aujourd’hui, nous connectons le sens de « défendre quelque chose » à acte violent contre quelqu’un. Il s’agit alors de gagner et de dominer, de détruire la menace dans un but de survie. Mais avec cette approche de « gagner ou perdre », le paradigme du eux et nous, la philosophie de la séparation, nous créons un état d’esprit oppositionnel. Avec une telle définition appliquée au quotidien, on apprend à voir et à sentir le monde comme un lieu hostile. On pense que l’on ne peut vivre en sécurité que si l’on détruit ou contrôle toutes les menaces possibles. C’est une « défense » qui justifie les attaques contre le monde dans lequel nous vivons. Tuer et détruire au nom de la « vie ».

Qu’est-ce que nous en apprenons ? Qu’est-ce que cela nous dit ? De quels yeux et de quel cœur nous regardons, sentons et nous aimons nous-mêmes et aimons notre monde, décidons comment nous allons évoluer dans la vie, décidons de ce que nous créons, en sentiments, en énergie, en rêves ou en cauchemars, ou sans rêves du tout… Sommes-nous vraiment cet individu, ce moi unique, qui n’est pas le résultat de toute l’histoire humaine ? Ou sommes-nous le legs de nos ancêtres ? Sommes-nous leur meilleur moi ?   Faisons-nous plus ? Devenons-nous de meilleurs êtres humains grâce à la connaissance et à l’expérience ? Tous nos actes ont toujours un impact, et peu importe s’ils semblent minimes. Fonctionnons-nous mieux avec la logique moderne ? Y croyons-nous ? En pensant, en ressentant ? Croyons-nous en quelque chose ? En nous ? Aux autres ? Pourquoi est-il important de comprendre ce que nous sommes, où nous sommes et pourquoi ? Comment et pourquoi devons-nous changer la mentalité et les émotions de séparation, de déconnexion et d’hostilité ? Cela fait-il une différence si nous nous considérons comme une partie vivante du monde, de ses merveilles et de son existence… ou non ? Est-il facile de transformer la compréhension déjà profondément mise en œuvre fondée sur la peur ? Que faut-il pour devenir soi-même ? Comment apprenons-nous à prendre part à la communauté ? Comment apprenons-nous à comprendre le nous commun, et non pas seulement comme une construction humaine ? Comment apprenons-nous à devenir quelque chose ? Comment avons-nous appris à devenir nous ? Pouvons-nous devenir nous-mêmes sans l’ensemble du nous commun ?

Par où commencer ? Où débute notre voyage ? Notre voyage commence avant notre naissance. Notre voyage, quel que soit notre genre, est le voyage des femmes à travers l’histoire. C’est l’histoire de la rupture de l’équilibre entre les humains, entre les genres, entre tous les êtres vivants, créant des hiérarchies entre ceux et celles qui ont le « droit à la vie » ou pas.Tout ce que nous recueillons, tous les sentiments, les impressions, les pensées, font partie de l’histoire de cette rupture, de notre mère, de sa mère, d’innombrables mères avant elles, d’innombrables femmes avant elles. Nous ressentons ce qu’on ne nous dit pas, ce qu’on ne nous explique pas. Nous ressentons l’histoire des femmes, à travers des milliers d’années. Nous sommes créées par la réalité de ces sentiments non filtrés, grandissants dans l’utérus. La vie d’une femme. Là, dans le nid douillet et chaleureux de notre mère, nous apprenons d’abord ce qu’elle ressent, ce qu’elle a appris… sur elle-même, le monde, le sens de la vie et comment tout est lié à elle en tant que femme, déterminant sa place dans cette vie. Ce qu’elle ressent lorsqu’elle pense à nous. Nous sentons si nous sommes désirées ou non, nous ressentons les doutes, l’incertitude, l’impuissance. Nous sentons si elle est en sécurité, si elle croit en l’avenir qu’elle voit pour elle et avec nous. Aime-t-elle ? Est-elle aimée ? Respectée ? A-t-elle confiance ? Moins il y a de tout cela, moins elle se sent sûre. Nous ne sommes pas une copie exacte de notre mère, mais elle nous montre d’abord à travers ses émotions de quel genre de monde, de quel genre de réalité nous héritons. Cela peut nous faire sentir si on est la bienvenue ou non en tant que fille. Sentir que notre existence est limitée à toutes les règles faites pour nous. Grandir avec elle, à chaque étape, c’est le premier apprentissage. Tout ce qui suit, ce que la famille, les amies, la société nous apprend sur notre rôle approfondira ce que nous avons appris si tôt. De nombreux facteurs influencerons nos motivations et nos décisions, notre chemin.

Combien de ces facteurs apprenons-nous à considérer comme afférents au « destin » ? Lesquels nous feront renoncer à nous-mêmes ? La honte, la peur, la punition, la surveillance constante de Dieu, par les traditions, par la famille, par le Soi, qui a appris à s’observer et à s’ignorer en fonction de cette réalité. Et avec ce sac à dos, se demandant encore une fois… en quoi apprenons-nous à croire ? Qui et quoi a le droit à la vie ? Le « droit à la vie » ? Qu’est-ce que nous espérons et pour quoi vivons-nous ? Respecter et aimer la vie et l’existence ? Pourquoi et jusqu’où ? Cela fait-il une différence ?

Comprendre quelles valeurs nous avons perdues et le résultat de ce processus, c’est le début de la défense, de l’autodéfense. Nous devons recréer et ramener ces valeurs dans notre vie commune. Comprendre d’où vient la « façon de penser et de ressentir » qui nous sépare, où s’enracinent la peur, les préjugés et le rejet, pourquoi certaines sont plus considérées avec plus de valeur que d’autres… nous conduira à travers cette histoire de ruptures et de destruction constante. Mais aussi, elle nous mènera à travers une histoire cachée de résistance, l’histoire de la défense d’une approche différente de celle qui consiste à tuer toutes celles qui ne se plient ou ne s’adaptent pas. Il y a longtemps, les valeurs de l’existence étaient protégées par les mères. Les plus petits problèmes de la société étaient résolus communalement, sous la médiation de personnes incarnant des rôles matriarcaux, portant la profondeur d’une humanité qui fait partie de toute existence. Elles étaient les piliers de la vie, de la vie communautaire et la plus grande forme d’autodéfense. L’autodéfense, qui était définie par les actes de création et de construction, de connexion et d’amour, d’alimentation et de guérison. C’était l’époque de la Déesse Mère, notre Mère Nature. Elle était défendue par toutes et tous, et c’était elle qui défendait tout. Les sociétés lui ont donné un sens, elle a apporté ses valeurs dans la vie quotidienne, partageant et prenant soin, pour le tout commun. Grâce à ses conseils, les sociétés se sont protégées grâce à des liens solides et une compréhension commune de leur propre existence, une vie de liberté enracinée dans leur unité.

La fin de l’ère néolithiques est arrivée il y a environ 5 000 ans. Les humains apprenaient alors rapidement, se développant toujours dans des directions différentes. L’histoire nous apprend qu’à cette époque, une mentalité dominante a commencé à se répandre et à créer un nouveau concept du moi. Elle a séparé les humains en catégories. Elle a créé des hiérarchies basées sur la domination d’une mentalité masculine dominante, ce qui a changé toute la compréhension de l’être humain dans le monde. Elle a construit des différences basées sur l’oppression de l’Autre, comprenant la liberté comme une forme de préservation des biens matériels et de la conscience individualiste. Elle a créé des fissures entre les peuples. Brûlé les ponts. Brûlé les femmes. Brûlé les racines et le savoir. Jusqu’à aujourd’hui, alors que nous entrons dans le XXIe siècle, loin de ce monde de mères-guides. Le béton tire notre âme vers son corps froid. Nous ne le ressentons pas, notre cœur n’a pas appris à connaître ou à apprécier la profondeur de cette immensité et de cette diversité imparable. La confiance originelle a fait place à une préoccupation destructrice qui calcule, pèse, demande un bénéfice pour elle-même, tout de suite, sans prendre en compte les ressources disponibles, sans gratitude pour la vie. Les histoires que nous entendons aujourd’hui nous dépeignent comme la plus sublime de toutes les créatures, divines et possédant tout. Nous ne faisons plus partie du tout, nous n’avons jamais été faits du même matériau, nous sommes ceux qui valons le plus, nous sommes différents et tellement originaux que la création doit s’incliner devant nous, et non l’inverse. Notre devoir est de contrôler, de dominer, parce que la nature est hostile et doit être conquise, parce qu’elle s’oppose à nous. Le patriarcat et la domination dans leur expression maximum. Ils ont asservi les êtres vivants en leur donnant le pouvoir de se considérer comme plus dignes que les femmes, la nature et toutes celles qui ne sont pas considérés comme forts et puissants. Des méthodes d’oppression partagées, pour opprimer plus astucieusement. Laisser les esclaves se sentir libres, en s’asservissant les unes les autres volontairement afin d’obtenir une part du pouvoir destructeur. Tout le monde semble le savoir, beaucoup de gens le ressentent, mais comment sortir de ce cercle de désirs destructeurs ? Et… voulons-nous vraiment en sortir ?

Nous sommes les générations capables de voir, de sentir et de vivre les résultats extrêmes de ce changement de mentalité vieux de milliers d’années. Quand nous faisons des recherches, nous trouvons les traces de la résistance, de la rébellion, de la beauté qui vit dans le refus de la destruction et l’exploitation autour et à l’intérieur de nous. Qui depuis, continue chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde… une lutte ininterrompue. C’est une guerre des mentalités. Le but de cette guerre est de dévorer la foi que nous avons dans notre force commune. Pour nous défendre à l’intérieur du moi commun, nous devons nous organiser avec une autre mentalité, loin du patriarcat et de la domination. Mais il y a aussi une blessure en chacune de nous. Nous sommes prêtes à nous battre, à défendre, à tout donner… mais l’état d’esprit contre lequel nous nous battons vit au plus profond de notre âme et de notre cœur. Si nous ne posons pas les questions sous un autre angle, nous n’obtiendrons que des réponses logiques et mesurables, froides et sans vie. Si nous n’analysons pas avec un autre regard, nous ne pourrons pas croire qu’il est possible de changer cette effrayante mentalité. Nous n’osons pas faire le nécessaire. Nous devons réapprendre l’amour. Nos actions peuvent être une résistance violente, capable de frapper les oppresseurs physiquement et économiquement, d’exercer une forte pression. Capable de tuer nos tortionnaires. Capable de transformer les relations de pouvoir au sein du système étatique. Mais, nous recréons leur mentalité dans nos actions. Parce que la violence utilisée dans cette approche est une attaque contre tous les êtres vivants. Répondre à la destruction par la destruction.

Donc, si la réponse à la destruction est l’amour, alors nous devrions nous demander ce que signifie l’amour. Ou d’abord, voir ce qu’il n’est pas. Nous ne devrions pas le confondre avec cet état d’esprit et ces émotions de propriété, de destruction et de sexualisation qui sont très courantes lorsqu’on « aime » dans les sociétés d’aujourd’hui. Nous devons revenir à la façon dont nous avons grandi et à ce qu’on nous a appris sur nous (dans le moi et le nous) et sur la vie. L’« amour » que nous voyons et ressentons aujourd’hui est principalement la raison pour laquelle les gens ont peur et se méfient les unes des autres, en raison de la même mentalité qui nous permet de posséder le monde ou un animal de compagnie, ou quoi que ce soit. Aspirant et crachant nos attentes sur l’ « être aimé », pressées que nous sommes de ressentir quelque chose de positif. Il s’agit de posséder des cœurs, des âmes, de posséder et de contrôler toute la vie, parce que ce n’est qu’alors que c’est réel et spécial, parce que l’ « amour » ne peut être que quelque chose de spécial et d’exclusif. Dans de nombreux foyers, partout dans le monde, les gens s’entre-tuent, s’oppriment, violent, agressent, frappent, au nom de cet « amour ». La plupart du temps, les femmes sont la cible de cet « amour ». Il nous tue. Mais il est pourtant l’expression très profonde de la haine et du fait de ne rien aimer. C’est la peur et la douleur, qui ne font que créer plus de peur et plus de douleur. Avec cet « amour », nous resterons coincées dans cette réalité individualiste que nous ressentons autour de nous.

L’amour ne peut croître et vivre qu’à travers la communalité. Dans la liberté de grandir, d’apprendre émotionnellement et mentalement, de se sentir connecté et aimé pour ce que l’on est. Il s’agit d’apprendre à ressentir et à penser différemment, à apprécier les miracles et les questions de la vie, à aimer les différences et les similitudes. C’est une question de valeurs et de leurs limites. Il s’agit de responsabilités, de prendre soin par amour et non par peur. C’est une question de liberté, ce qui signifie créer une vie libre. Cette vie libre ne peut pas dépendre d’un lieu, d’un type de personne ou d’être. La liberté est pour toutes et pour tout, parce que l’existence d’une individue, d’une société individuelle, même d’une seule pensée ou d’un seul sentiment, n’existe pas, elle fait partie du tout. La liberté, c’est l’amour, et l’amour c’est la responsabilité et le lien communautaire. C’est organiser la vie ensemble avec amour. Nous ne pouvons pas attendre un moment parfait d’amour, nous devons le créer chaque jour, encore et encore, en créant de l’amour et de l’espoir à chaque instant. En organisant notre amour, qui n’a d’autre priorité que de croître partout, nous pouvons constater qu’il est une source première de libération.

Tout ce que nous faisons a un impact. Représente une certaine mentalité. Représente la valeur que nous accordons à ce que nous sommes, à ce qui nous entoure, à ce que nous vivons, à ce que nous aimons, au tout, toujours. Lorsque nous parlons de l’instant quantique, nous parlons de la magie créative d’exister dans l’instant, à chaque instant. Être un révolutionnaire dans le « maintenant ». Nous comprenons la dynamique du changement comme un domaine de révolution constante.

« Chaque jour, je fais 40 révolutions »
(Rêber Apo)

Si nous ne luttons pas avec cette approche, tout ce que nous créerons ne sera que la répétition d’une mentalité destructrice, qui nous a déjà enseigné tant de méfiance, de frustration, de haine et de peur, nous amenant au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Ce monde ne nous appartient pas, nous en faisons partie. Nos actes de défense devraient contrebalancer l’histoire de l’oppression avec dignité et espoir pour chacune d’entre nous, avec l’amour de la liberté, de la vie et de tout notre monde. Notre existence ne peut pas être considérée comme au-dessus de celle de la société. La société, l’organisation et l’amour sont les moyens les plus fondamentaux et les plus efficaces d’autodéfense. C’est cet héritage que nous défendons. La chaleur du feu qui a maintenu l’esprit de la société en vie. Il y a des milliers d’années, elle était maintenue par les matriarches dans la société. Jusqu’à aujourd’hui, elle est restée vivante et forte dans chaque petit pas, dans chaque décision prise de lutter contre cette mentalité toxique de séparation et de haine. La voie vers une révolution mondiale des femmes est de faire revivre l’autodéfense communale qui libérera l’ensemble de la société.

Nous devons défendre. Notre ‘soi’.Notre ‘nous’. Ensemble.

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