Vaincre la violence grâce à la révolution des femmes et au confédéralisme

« Sans la paix entre les hommes et les femmes, il ne peut y avoir de paix dans le monde » : c’est l’argument central qui guide l’analyse d’Elif Kaya sur la façon dont la violence à l’égard des femmes perpétue une violence sociétale plus large.

Elif Kaya
23/11/2024

La violence à l’égard des femmes est la forme de violence la plus ancienne et la plus institutionnalisée. Elle trouve ses racines dans la rupture des relations entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, toutes les formes de violence, du pillage de la nature aux guerres mondiales, se nourrissent de cette rupture. La violence à l’égard des femmes ne se limite donc pas aux femmes, elle s’étend à l’ensemble de la société et de la nature. Pour la combattre, une approche holistique est nécessaire.

Il peut être plus éclairant d’examiner la violence à l’égard des femmes en deux catégories fondamentales afin de mieux comprendre le problème. La première catégorie est celle de la violence exercée par les hommes sur les femmes et la seconde est celle de la violence exercée à l’encontre des femmes par l’État. Bien qu’elles puissent être considérées comme des catégories distinctes, il s’agit simplement des deux faces d’une même médaille. Si leurs intérêts peuvent parfois s’opposer, ils travaillent plus souvent ensemble dans un cadre coopératif, formant une alliance indiscutable et presque sacrée. Si les hommes sont responsables de la violence à la maison, dans la sphère publique ou dans la rue, cette responsabilité est partagée entre les hommes et l’État. À la maison, les hommes utilisent la violence pour imposer leurs propres règles et affirmer leur pouvoir sur les femmes, tandis que l’État fait respecter les réglementations légales, punit celles et ceux qui ne s’y conforment pas et maintient son autorité par des sanctions.

Par exemple, il n’y a guère de différence entre le père indien qui a tué sa fille de quatre ans en 2015 parce qu’elle ne se couvrait pas la tête et Jina Amini, assassinée le 16 septembre 2022 parce qu’une mèche de ses cheveux était visible. L’un des auteurs a exercé son autorité en tant que père, tandis que l’autre a utilisé son pouvoir en tant qu’État.

Pourquoi l’État s’immisce-t-il dans la vie des femmes ?

Pourquoi un État se préoccupe-t-il de ce que les femmes portent ou ne portent pas, quand ou si elles se marient, combien d’enfants elles ont ou n’ont pas, si elles vont à l’école, conduisent une voiture ou chantent ? Pourquoi punit-il les femmes qui ne respectent pas ces règles ? Parce que l’État considère les efforts des femmes pour atteindre la liberté -une lutte qui se trouve au fondement même de sa structure de pouvoir – comme une menace existentielle. La rébellion de la plus ancienne forme d’exploitation est susceptible de déclencher l’effondrement de toutes les formes d’exploitation. C’est pourquoi les États craignent plus que tout la quête de libération des femmes et n’hésitent pas à user de toute leur autorité et de tout leur pouvoir pour réprimer les mouvements qui émergent en faveur des femmes.

Rêber Apo [Abdullah Öcalan], le leader kurde, a fait une déclaration célèbre : « Le massacre des femmes est plus dangereux que le massacre des cultures ou des peuples », car détruire les femmes, c’est détruire la vie elle-même.

En outre, en raison du rôle central que les femmes occupent dans la vie sociale, la violence qui leur est infligée s’étend inévitablement à la société dans son ensemble. Les guerres modernes, apparemment sans fin et de plus en plus enchevêtrées, sont alimentées par la rupture des relations entre les hommes et les femmes. Cette rupture sert de racine au pouvoir, à la hiérarchie et à l’exploitation. La violence jaillit de cette source.

Ainsi, une vérité indéniable s’impose : une condition essentielle pour mettre fin aux guerres dans le monde est l’éradication de la violence à l’égard des femmes. Sans paix entre les hommes et les femmes, il ne peut y avoir de paix dans le monde.

Le ciblage des femmes en temps de guerre

Tout au long de l’histoire, les femmes ont été les premières cibles des périodes de guerre intense, et leur corps a été utilisé comme véhicule pour transmettre le message de la guerre. Cela s’est manifesté de diverses manières, que ce soit lors de conflits tribaux impliquant des enlèvements d’épouses ou lors de batailles entre deux puissances opposées. L’idée que les femmes sont des biens appartenant aux hommes ou que tuer une femme est une marque de « virilité » est au cœur de cette mentalité. Cette mentalité réduit le corps des femmes à un simple outil permettant d’envoyer des messages.

Un exemple frappant de l’histoire récente est le traitement du corps d’Ekin Van, une activiste kurde assassinée par l’État turc pendant la résistance pour l’auto gouvernance.

Le 15 août 2015, son corps, tué cinq jours auparavant, a été exposé publiquement, et des images ont été diffusées dans les médias afin d’aggraver le traumatisme du massacre. De même, lors du conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le corps de la soldate arménienne Asuh Apetyan a été profané, et lors de la guerre entre Israël et le Hamas, les femmes otages ont subi des violences innommables. Pendant l’occupation d’Afrin, des femmes comme Barîn Kobanê et, au Rojava, Hevrîn Xelef, ont été non seulement tuées, mais aussi soumises à des mutilations corporelles et à une exposition publique. Ces actes étaient destinés à envoyer un message aux communautés auxquelles ces femmes appartenaient.

Dans les systèmes patriarcaux, détruire les femmes équivaut à détruire le tissu social et à lancer un avertissement de soumission. La diffusion publique de ces atrocités amplifie la violence au-delà de l’individu, en l’étendant à toute une société. En utilisant le corps des femmes, des messages brutaux de terreur et de domination sont communiqués à tous et toutes.

Les femmes comme cibles dans la lutte pour la liberté

Les femmes qui cherchent à construire une vie égale, libre et non violente – et qui luttent activement pour ces idéaux – deviennent les cibles de violence. Des guérillas féminines, qui luttaient pour la libération dans les montagnes, ont été tuées par des méthodes qui s’apparentent à des crimes de guerre. Les prisons ont été remplies de dirigeantes politiquement actives. Malgré cela, les femmes emprisonnées ont dénoncé les politiques oppressives des régimes fascistes. Par exemple, Garibe Gezer, soumise à des traitements dégradants en prison, a déclaré : « Mon corps m’appartient » et, par sa résistance, a montré que la volonté humaine est plus forte que la violence.

La résistance des femmes contre l’oppression patriarcale

Malgré les obstacles créés par les systèmes patriarcaux et fascistes, les femmes persistent dans leurs efforts pour libérer la vie. Elles démontrent leur détermination à transformer un système dépourvu de justice et de compassion, et à construire une existence libre. La lutte que les femmes ont menée contre le système patriarcal au cours du premier quart du 21e siècle suggère que ce siècle pourrait bien devenir le « siècle des femmes ».

Partout dans le monde, les politiques de féminicide persistent. L’émergence de mouvements tels que Ni Una Menos (« Pas une de moins ») en Argentine en 2015, qui proteste contre les points de vue patriarcaux qui présentent le harcèlement et le viol comme la honte des femmes, le mouvement #MeToo, qui a exposé les auteurs de violences sexuelles, et le mouvement Las Tesis, qui a déclaré que le harcèlement et le viol sont des crimes soutenus par l’État, n’en sont que quelques exemples. Ces mouvements mettent en lumière la crise mondiale actuelle du système patriarcal.

Les femmes expriment leur rébellion et leurs objections plus bruyamment que jamais, transformant leurs protestations en mouvements mondiaux. Cette marée croissante reflète une détermination collective à démanteler les systèmes d’oppression et à les remplacer par des alternatives plus justes et plus humaines.

Le rôle unique du Mouvement pour la liberté des femmes du Kurdistan

Il convient de souligner que le Mouvement des femmes du Kurdistan pour la liberté occupe une position unique par son approche, qui a inspiré les femmes du monde entier et fourni des méthodes pour aborder des questions profondément enracinées. Avec plus de 40 ans de lutte, sa perspective idéologique, sa capacité d’organisation et le développement de mécanismes d’autodéfense offrent de l’espoir aux femmes du monde entier.

À l’occasion du 25 novembre de cette année, le Mouvement pour la liberté des femmes du Kurdistan a publié une déclaration marquant la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cette déclaration présente des stratégies pour faire face aux crises créées par le système patriarcal. Pas à pas, le mouvement a construit une révolution des femmes et a démontré, par son expérience, la nécessité de lutter aux côtés de mouvements mondiaux de femmes. La déclaration souligne l’importance de l’organisation, des alliances transnationales entre femmes et de l’autodéfense, en affirmant la nécessité d’un changement systémique profond. Les femmes sont invitées à aller au-delà des réformes symboliques proposées en guise d’apaisement et à entreprendre une révolution transformatrice des femmes.

Le besoin d’organisation, d’alliances et d’autodéfense

Dans un monde où la violence est si profondément ancrée, systémique et mondialisée, les femmes doivent intensifier leurs efforts d’organisation et étendre leurs réseaux de solidarité. La campagne du Mouvement des femmes du Kurdistan lancée en août 2023, intitulée « En solidarité avec les femmes afghanes et de Shengal (Sinjar) contre les attaques hégémoniques masculines », est un exemple puissant de la façon dont de tels efforts sont possibles en toutes circonstances6.

Parmi les priorités de la lutte des femmes pour la liberté, l’autodéfense est l’un des piliers les plus importants, au même titre que l’organisation et l’avancement du mouvement. Sans autodéfense, il est impossible de défier le système patriarcal-capitaliste organisé ou de protéger les acquis de la libération des femmes. La justice est un dû de l’histoire et du système patriarcal pour les femmes, en tant que collectif. Elles ont donc le droit de développer des mécanismes d’autodéfense dans tous les domaines de la vie.

L’autodéfense : Un pilier de la libération

Il est évident qu’aucun acquis ne peut être garanti sans les moyens de le défendre. Une vie qui ne peut être défendue n’est jamais vraiment la sienne. Il y a seulement huit ans, le monde a vu des femmes vendues sur les marchés. Cette dure réalité souligne la nécessité de l’autodéfense comme principe premier et fondamental d’une vie libre. Une vie défendue est une vie de valeur, et seule une vie défendue peut être préservée.

Le mouvement des femmes du Kurdistan pour la liberté a montré que l’autodéfense n’est pas simplement un outil de réaction, mais une stratégie fondamentale pour la construction et le maintien de la liberté. Ce principe continue de résonner comme un appel aux femmes du monde entier : une vie libérée exige la force de se défendre à tout prix. L’appel du KJK n’était pas seulement de faire avancer la révolution des femmes, mais aussi de promouvoir le confédéralisme mondial des femmes. Le confédéralisme mondial des femmes est un modèle d’organisation qui établit un équilibre optimal entre le local et l’universel. Il s’agit d’une organisation démocratique où chacun peut s’appuyer sur ses différences, sentir que son existence a un sens et unir ses forces. Il ne s’agit pas d’une simple fantaisie ou d’une utopie ; au milieu d’une guerre féroce, les femmes du nord-est de la Syrie s’efforcent depuis des années de construire une vie libre grâce au modèle du confédéralisme.

Lorsque toutes les femmes du monde s’uniront, le pouvoir patriarcal prendra fin !

1 Le 9 janvier 2013, lors de négociations pour des pourparlers avec Reber Apo, trois femmes politiques kurdes ont été abattues à Paris. Sakine Cansız était l’une des membres fondatrices du PKK et une femme dirigeante.

2 Berta Cáceres, qui a mené la lutte contre les politiques des grandes entreprises qui détruisent les terres et la nature, a été abattue à son domicile. Au cours de cette période, de nombreuses femmes dirigeantes ont été assassinées.

3 Le 5 janvier 2016, trois femmes qui organisaient le travail social sur le terrain et développaient la lutte pour la liberté des femmes ont été abattues en pleine rue.

4 Une membre de l’Académie de jinéologie, qui cherchait à découvrir le savoir des femmes par le biais d’études de jinéologie, a été assassiné en pleine rue à Sulaymaniyah par des individus envoyés par l’État turc.

5 Mursel Nebizade, ancienne parlementaire avant l’entrée des talibans à Kaboul en 2021, a été tuée par balle à son domicile. Des rapports ont montré qu’après la prise de contrôle de Kaboul par les talibans, des centaines de femmes ont été assassinées.

6 Les femmes kurdes, qui subissent les attaques quotidiennes de l’État turc, ont organisé cette campagne entre le 3 et le 15 août, soulignant que la lutte des femmes est universelle et doit être abordée de cette manière.

Source : https://medyanews.net/overcoming-violence-with-the-womens-revolution-and-confederalism/

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